On a l’impression que depuis que Microsoft a annoncé sa volonté d’acquérir ZeniMax en septembre 2020, les joueurs (qui passent beaucoup trop de temps sur les réseaux sociaux) ont découvert le sport international à la mode chez les entreprises: l’absorption d’autres entreprises.

Sans doute parce que le mois de février vient tout juste de commencer et que 3 transactions monumentales viennent déjà d’être annoncées. Et c’est assez drôle de voir qu’à l’heure où des célébrités (et des escrocs) achètent des liens URL (appelés aussi NFT) jusqu’à $91 millions, les entreprises les plus importantes de la tech et du jeu vidéo investissent dans les studios et les licences pour construire quelque chose.

Pourtant, le principe n’est pas nouveau et il est réalisé pour plusieurs raisons. Si l’une d’entre elle est évidemment de faire « grossir » l’importance de l’entreprise qui réalise l’achat, on va ici se tourner vers les raisons « stratégiques » vis à vis de l’industrie et des joueurs des dernières grosses transactions.

Evidemment c’est simplement mon avis, loin d’être une analyse poussée avec des chiffres à la clef, sans avoir eu la possibilité d’interviewer des insiders avec des informations confidentielles venant de chez Microsoft ou PlayStation. C’est ma vision des actions des mastodontes du jeu vidéo (et de la tech en général) en matière d’acquisition.

Un « ressenti » qui vient des forums que je côtoie, des groupes Facebook improbables dont je suis membre et des discussions de comptoirs entre joueurs que j’ai ici et la (parce que oui je joue).

On va découper ce post en 4 parties: Nintendo, PlayStation, Xbox et enfin « les autres ». J’ai volontairement occulté le sujet des jeux sur smartphones car c’est une stratégie différente même si complémentaire (et l’article est déjà beaucoup trop long).

Nintendo

Points forts: Ses licences qui font parties de notre vie depuis notre plus jeune âge. Ses innovations en terme de console et son monopole sur le secteur des consoles portables.
Points faibles: Le manque de performances de ses consoles.

Ah Nintendo, le chouchou de tous les joueurs. Il est difficile de trouver un joueur qui n’a jamais touché une console Nintendo. Mario, Zelda, Metroid ou encore Pokemon, c’est presque improbable d’avoir entre 20 ans et 40 ans (cf la tranche d’âge qui dépense BEAUCOUP en jeux vidéo) et de ne pas avoir un coup de coeur pour une de ces licences.

Le concept de Nintendo, c’est d’offrir du divertissement en tout genre sur sa console du moment (en abandonnant ses générations précédentes en moins de temps qu’il ne faut pour dire « Capturez les tous »).

Avec la Switch, Nintendo a une fois de plus montré qu’il ne se voyait pas comme un concurrent dans le « combat » entre PlayStation et Xbox. Une console de salon/portable, avec des performances qui font le travail pour faire tourner des jeux divertissants.

La stratégie du géant japonais sur cette génération, c’est d’imposer sa console comme un incontournable pour être « tendance » avec des jeux chronophages qui sortent au compte-gouttes (Pokemon, Animal Crossing, Zelda). La grosse nouveauté par rapport aux générations précédentes c’est que Nintendo souhaite que les derniers jeux third party (développés par un éditeurs tiers comme Ubisoft, EA ou Dontnod) voient le jour aussi sur Switch.

Contrairement à avant, sur la console de Nintendo on a accès aux même jeux que sur PlayStation et Xbox, mais avec des performances moindres. Et pour beaucoup de joueurs, ce n’est pas vraiment un problème. Cette stratégie permet du coup à Nintendo de proposé un catalogue de jeux exclusifs (développés par Nintendo) accompagnés des derniers hits que vous trouverez sur toutes les consoles.

En résumé: la stratégie de Nintendo c’est d’avoir des jeux chaque année sur ses licences phares, mais aussi les derniers hits des third party en « qualité basse (résolution, FPS), tout en mettant en avant des jeux indépendants. Les consoles se vendent déjà comme des petits pains, les jeux aussi, tout fonctionne parfaitement. Les jeux ne perdent presque pas de leur valeur malgré les années et on achète encore au prix fort un Breath of the Wild un an après sa sortie.

Xbox

Points forts: Ses jeux « de niche » avec une communauté moyennement importante (Arkanes Studios…). Ses jeux avec du multi-joueurs console/PC avec une commu plus imposante (Halo, Forza, Sea of Thieves, Age of Empire). Son expertise technique (serveur, cloud gaming) et son attractivité tarifaire (Game Pass, Cloud Gaming mobile).
Points faibles: Son manque de blockbuster solo et familiaux.

L’outsider. Quand on parle de Xbox on ne pense pas à la même légitimité dans le monde du jeu vidéo que Sony, Nintendo et Sega. La faute à une arrivée tardive dans l’industrie du jeu vidéo. L’âge moyen des joueurs en France serait de 38 ans en 2021. Autant vous dire qu’avec la sortie de la Xbox en 2002 (en France), ce n’est pas cette console et cette marque qui a bercé leur enfance.

Pour se différencier vis à vis de PlayStation, Xbox a misé par le passé sur l’innovation technologique (le jeu en ligne, les manettes sans fil, le all-in-one console/tv/musique, kinect) et il faut avouer que ce qui les a porté avec la première Xbox ne leur a pas suffit par la suite.

Créer un studio de développement de jeux vidéo from scratch pour développer une nouvelle licence est une opération difficile, qui mène la plupart du temps à l’échec. Rock Star et Nintendo nous prouvent tous les jours que les vieilles recettes font les meilleurs jeux, ou tout du moins les plus vendus.

Lors de la création de la première Xbox, Microsoft avait déjà commencé par acquérir Bungie et Rare, deux studios emblématiques pour les joueurs. Depuis 2014 c’est au moins 16 studios qui se sont ajoutés aux Xbox Game Studios via des acquisitions. On pourrait les classer en plusieurs genre : 

Les studios qui ont une expertise dans un style de jeu précis: Rare, Compulsion Games, InXile Entertainement, Ninja Theory, Obsidian Enterteinment, Playground Games, Undead Labs, Double Fine Productions.

Les studios qui ont une communauté de joueurs importante : Mojang Studios.

Avec l’acquisition de ZeniMax c’est un mélange des deux. On a des jeux de niche avec Arkane Studios et sa communauté restreinte, idem avec Tango Gameworks. Et de l’autre côté on a des licences emblématiques avec un nombre de joueurs qui ne fait que croitre (Bethesda Games Studios, id Software…).

Les studios Xbox c’est un cocktail de jeux assez bizarre: des jeux de niche donc avec une faible communauté, des blockbusters mais surtout une envie d’avoir du multi-joueurs sur toutes les grosses licences. Halo, Forza, Gears of War, Sea of Thieves.

La stratégie côté Xbox, c’est d’avoir un catalogue de jeux le plus diversifié possible pour étoffer l’abonnement Xbox/PC Game Pass et rendre l’éco système addictif. Une fois qu’on s’inscrit, on joue sur Xbox, sur PC ou sur mobile, l’important c’est qu’on reste inscrit.

Il ne faut pas séduire ceux qui ont testé le Game Pass, il faut convaincre ceux qui ne l’ont pas fait et la meilleure technique n’est pas d’offrir de nouvelles licences mais d’expliquer aux joueurs que leur licence préférée est déjà « dans le Game Pass ».

Acquérir Activision Blizzard, c’est dire aux joueurs qu’au lieu d’acheter Call of Duty (le jeu le plus vendu toutes plateformes confondues en 2021), ils pourront s’abonner au Xbox Game Pass et l’avoir avec tous les autres jeux du catalogue.

Pas forcément au détriment des consoles concurrentes. Comme avec Minecraft et The Elder Scrolls Online, en continuant de sortir les jeux sur les consoles de Nintendo et PlayStation on réalise deux choses : des bénéfices sur un parc de consoles plus grand que si on sortait les jeux essentiellement sur Xbox, mais aussi on travaille à montrer aux joueurs des consoles concurrentes ce qu’on est capable de faire.

Chez Xbox on parle aussi d’argent avec les joueurs, pas seulement avec le prix de vente de la console, mais avec le tarif d’un abonnement mensuel qui permet de jouer à un catalogue de jeux variés. Xbox aborde le jeu vidéo comme un loisir à l’image de Netflix, et à l’heure où les dépenses se multiplient (abonnements tv/musique), l’argument n’est pas anodin pour le porte monnaie des joueurs.

Je sais que les joueurs n’aiment pas parler d’argent, mais à la fin du mois il faut se rappeler que nous avons tous des factures à payer et que fasse à la multiplication des sources de loisirs, le jeu vidéo devient petit à petit un luxe (si ce n’est déjà le cas).

C’est aussi mettre le pied dans le marché des jeux PC avec des licences fortes (Diablo, StarCraft, OverWatch) pour venir mettre en avant le discours de ces dernières années: les jeux Xbox sortent sur PC et il ne s’agit pas seulement de deux jeux par an.

Le principe c’est de gagner de la légitimité (quand on parle de Xbox, on ne parlera pas seulement de Halo Infinite et Forza Horizon 5 dans le futur) tout en forçant la concurrence à devoir changer son fusil d’épaule concernant leur business model à propos des abonnements.

PlayStation

Points forts: Ses jeux solo (souvent en vue à la 3ème personne) avec des univers magnifiques, des histoires prenantes et un gameplay toujours au top. Ses partenariats « historiques » avec des monstres du jeu vidéo (Final Fantasy, Kojima…). Son pari à amener la VR dans notre salon via sa console. Ses licences (Marvel’s Spider-Man) qui sont déjà des succès sur les autres medias et qui profitent de l’effet « pop culture ».
Points faibles: Son manque d’expérience sur les jeux « communautaires » en ligne et sa faible présence sur le marché PC/mobile. Sa position plus « luxe » du jeu vidéo face à ses concurrents.

Le roi. La marque avec laquelle tout le monde a grandi a commencé a se réinventé après l’ère de la PlayStation 4. Si cela ne faisait pas la une des journaux, il est intéressant de noter que Sony a commencé à acquérir des studios il y a déjà une vingtaine d’années, avec Bend Studio (2000), Naughty Dog (2001), Guerrilla Games (2005), Media Molecule (2010) et Sucker Punch Productions (2011).

On se souviendra qu’avant on avait aussi des jeux exclusifs à des consoles, développés par des studios qui n’appartenaient pas aux constructeurs. Et ces exclusivités n’étaient pas temporaires. Il était impensable d’un Final Fantasy ou qu’un Metal Gear Solid sorte sur Xbox, idem pour un God of War sur PC.

On peut se dire que PlayStation a un peu changé la donne quand ils ont acheté Insomniac Games en 2019 après le succès de Marvel’s Spider-Man (2018). Xbox avait mandaté le studio en 2014 pour développer le superbe Sunset Overdrive et cela montrait qu’un studio qui n’appartenait pas à Sony ou Microsoft pouvait sortir une pépite sur la console concurrente.

Tout le monde a un prix et des studios que la plupart des joueurs pensaient alors intouchables devenaient disponibles sur le marketplace (on le sait depuis 2009 avec le rachat pour $2.5 milliards de Mojang Studios, puis $229 millions pour Insomniac Games…).

La stratégie de PlayStation c’est d’offrir une console qui possède des atouts que les concurrents n’ont pas, que ce soit pour les accessoires comme pour les jeux.

D’un côté on a le VR, avec des titres assez timides sur PlayStation 4. Etant donné que les éditeurs tiers ne se jettent pas sur cette opportunité il est logique que Sony se stuff avec des studios de développement spécialement pour ça.

De l’autre on a la DualSense avec son retour haptique du futur, qui ne transcende pas l’expérience de jeu mais qui est un bon point marketing pour différencier les deux concurrents.

Ces features ont un prix et les consoles de Sony sont toujours présentés comme des bijoux (technologiques). Que ce soit dans la communication autour de la console ou sur la sortie des jeux (on repense à l’augmentation du prix des jeux), la PS5 est une console populaire (qu’on pourrait dire « de luxe ») qui nous permet de jouer à des jeux exceptionnels.

Si on se tourne vers les récents achats de PlayStation on peut la aussi les classer en plusieurs groupes.

Les studios qui ont une expertise dans un style de jeu précis: Bluepoint Games, Firesprite, Housemarque, Nixxes Software et Valkyrie Entertainement.

Les studios qui ont une communauté de joueurs importante : Bungie.

L’avantage le plus important de Sony ce sont ses jeux solo qui nous offrent des aventures riches, longues, toujours superbes avec des graphismes à la pointe et une écriture parfaite. Marvel’s Spider-Man, Uncharted, God of War, Horizon, Ghost of Tsushima, The Last of Us… la liste est longue.

Chez PlayStation on est focus sur la création d’univers, d’expériences solo narratives et divertissantes. Le seul bémol c’est le « end game content ».

Une fois l’aventure terminée (après un nombre d’heures souvent important il faut le noter, plus que chez la concurrence), la majorité de ces jeux étant des expériences solo, il faut passer au jeu suivant. On ne peut pas en profiter avec des amis et du coup on est sur des développements longs, avec peu d’updates après leurs sorties.

C’est la que l’achat de Bungie peut être une véritable bonne idée. Le studio a de l’expérience dans la création de jeux avec Destiny 1 et 2, mais surtout il travaille activement sur le maintien de Destiny 2, l’ajout de contenu, la vie de la communauté et la gestion d’un jeu multi-joueurs où les joueurs achètent des extensions et du contenu ingame (des mois/années après la sortie originale).

C’est sur cet aspect que PlayStation doit s’étoffer. On l’a vu avec Ghost of Tsushima et l’ajout d’un mode multi-joueurs après sa sortie, on l’aperçoit sur Internet avec les rumeurs d’un mode multi pour The Last of Us Part II et on peut aussi noter la tentative au lancement de la PlayStation 5 avec Destruction AllStars.

Il faut que le catalogue PlayStation s’enrichisse avec des hits multi-joueurs qui donnent envie aux joueurs de revenir chaque semaine (les challenges de Halo/Forza), chaque mois ou chaque saison (Fortnite, Valorant, Apex).

Destiny c’est aussi un monde multi-joueurs à la « Fortnite ». Où les joueurs viennent se retrouver pour la communauté. Ce que Sony avait raté avec son « précurseur » PlayStation Home et qui est devenu la pierre angulaire du jeu vidéo en 2022.

C’est aussi une communauté majoritairement PlayStation.

Le but final n’est pas de convaincre les joueurs des autres consoles pour qu’ils viennent jouer sur PlayStation 5 mais plutôt de montrer aux joueurs déjà présents sur la console qu’ils peuvent se tourner essentiellement vers les studios PlayStation pour tous leurs jeux. Pouvoir dire que le catalogue first party se suffit à lui même en quelque sorte alors qu’actuellement certain des jeux les plus vendus sur la PS4 et PS5 proviennent d’Activision et EA (mais aussi d’Ubisoft).

L’autre stratégie de PlayStation c’est de gagner des joueurs PC grâce à ses licences emblématiques. Etant donné la masse de jeux sortant sur PC, PlayStation peut se permettre de sortir ses exclusivités en décalé par rapport à la sortie console tout en réalisant quand même des chiffres de vente impressionnant. C’est un atout financier mais c’est aussi l’opportunité de démocratiser ses licences vers un public qui n’aime pas sortir de sa plateforme de prédilection qu’est le PC.

Sans oublier l’investissement vers le cinéma et le parallèle films/jeux vidéo que le géant japonais met en place avec Uncharted par exemple.

Amazon, Google, Tencent, Meta…

Il n’y a pas que les trois constructeurs de consoles qui se battent dans la cours des grands, il y a aussi des éditeurs historiques (Electronic Arts, Ubisoft) et d’autres plus imposants (Google, Amazon, Tencent).

On peut voir les acquisitions de ces dernières années par Sony et Microsoft comme des transactions pour préserver ces studios chez eux.

Tout le monde se demande quel studio va se faire « acheter » bientôt, mais pour cela il ne faut pas oublier que de nombreuses entreprises appartiennent déjà à des mastodontes comme Tencent (Riot Games, Sumo Group, Turtle Rock Studio, Supercell, Epic Games (40%), Dontnod (22%), Bloober Team (22%)).

Le futur nous dira ce qu’il adviendra d’Ubisoft, EA ou Take-Two, mais si je devais miser sur des acquisitions « stratégiques » vis à vis des joueurs dans les prochains mois, ce serait plutôt:

  • Xbox:
    – Asobo Studio ou Dontnod pour l’expertise dans des genres de jeux très spécifiques
    – CD Projekt pour sa visibilité en dehors du jeu vidéo (livre, série tv)
    – Supergiant Games pour étoffer son catalogue
  • PlayStation:
    – Quantic Dream parce que peu d’autres studios lui arrive à la cheville en terme de renommée historique (comme Kojima Productions).
    – Capcom pour sa communauté Monster Hunter et Resident Evil
  • Xbox ou PlayStation
    – Kojima Productions pour conserver l’exclusivité
    – Remedy pour son expertise transverse (TPS/FPS, innovation dans le jeu vidéo)