#MeToo: les témoignages de harcèlements sexuels dans l’industrie du jeu vidéo se multiplient
J’avais prévu de parler d’un sujet complètement différent pour ce mois de juillet 2020 lorsque j’ai lancé la nouvelle version du blog, mais il est impossible de faire comme s’il ne s’était rien passé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux et dans la presse. Si le but premier du site est de partager des articles divertissants sur les jeux vidéo, il faut savoir aborder les sujets plus sérieux d’actualité. C’est aussi le rôle des blogs de sensibiliser les lecteurs et d’apporter du soutien et de la visibilité aux mouvements et témoignages qui concernent l’industrie dans laquelle ils se disent appartenir (Black Lives Matter, MeToo).
Depuis fin juin, des dizaines de femmes travaillant dans l’industrie du jeu vidéo ont partagé des témoignages de harcèlements et d’agressions sexuelles. Des comportements toxiques qui vont bien au delà de l’inégalité homme/femme présente dans les entreprises, et dont on avait déjà été témoin avec le mouvement #MeToo dans le monde en 2019, mais aussi en France à plusieurs reprises.
Cette fois ci ce n’est pas un studio qui est en cause, c’est plusieurs entreprises à travers le monde (Ubisoft, Blizzard, Codemasters, Insomniac Games, pour n’en nommer que certains). Pour « résumer », les témoignages mettent en avant que dans ces entreprises, des hommes harcèlent (voire agressent) sexuellement des femmes (collègues de travail, parfois en étant leur supérieur hiérarchique). Le plus souvent sur leur lieu de travail, mais aussi pendant des soirées « networking » qui sont nombreuses dans l’industrie du jeu vidéo.
Je suis abonné en majorité à des gens qui travaillent dans l’industrie du jeu vidéo sur Twitter (en France et à l’international) que je ne connais pas forcément, mais que je suis car j’aime leur travail (artiste, développeur, marketing…). En quelques jours, mon fil d’actualité se composait essentiellement de témoignages de femmes ayant été harcelé.
Parmi les témoignages, j’ai même découvert une personne qui est professeur dans une université où j’ai étudié. Si ces témoignages paraissent lointains pour beaucoup de gens, ils concernent pourtant plus de femmes que ces quelques témoignages, et sans doute des gens de votre entourage.
Ce mouvement me touche forcément car il ne s’agit pas d’évènements anecdotiques. Quand on parcourt les témoignages, ce ne sont pas quelques cas qu’on observe, mais un appel à l’aide général. Si l’on est (ou si on a été) dans cette industrie, on a cotoyé ces personnes, les victimes et les agresseurs, pendant ces mêmes soirées. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas l’agresseur, mais je dois faire parti de la solution sinon c’est tout comme.
Ce harcèlement prend parfois la forme de « blagues » (terme utilisé par l’agresseur) faites en présence d’autres personnes, visant à mettre mal à l’aise leurs collègues féminins. Mais il prend aussi des formes plus graves: mains aux fesses, baisers forcés, viols dans certains cas.
Lorsque ces comportements ont été remonté aux managers et aux départements RH, la réponse à souvent été la même: le déni. Les victimes étant alors licenciées (quand elles ne quittaient pas la société, atteintes moralement par ces expériences horribles et dégradantes) tandis que les harceleurs et agresseurs étaient « protégées » par la direction (le département des ressources humaines y compris). Un des témoignages indiquent même que l’homme qui la harcelait était en « couple » avec la représentante des RH.
Les différentes entreprises concernées ont publiées des messages sur les réseaux sociaux pour condamner ces comportements et pour partager les changements qu’ils allaient opérer au sein des entreprises pour stopper cette culture toxique (comme Ubisoft avec cette lettre d’Yves Guillemot).
Le changement doit avoir lieu à plusieurs endroits à la fois (lire ce thread Twitter qui met en avant de nombreuses idées), avec en premier lieu des sanctions pour les personnes incriminées. Il n’est pas acceptable de voir que les personnes coupables changent simplement de service (qu’elles soient mutées comme « punition ») et que le sujet disparaisse de l’actualité après quelques jours (ou semaines). Il faut apporter un soutien aux personnes qui ont été victime de ces comportements, et mettre en place un système efficace pour notifier les futurs comportements dérangeants aux départements responsables (management, ressources humaines).
Il faut aussi comprendre que le changement ne se fera que si tout le monde prend conscience qu’il est acteur (en bien ou en mal) pendant ces échanges. Être témoin de ces « blagues », de ces « allusions malsaines » ou de comportements toxiques sans intervenir fait de nous la première personne à cautionner ces actions. Il faut soutenir les victimes lorsqu’on observe ces échanges, mais aussi ouvrir le dialogue avec les personnes de notre entourage pour être à l’écoute des SOS qu’elles peuvent nous envoyer. Une victime pense souvent être responsable, et il est extrêmement difficile dans un milieu aussi fermé de partager ces expériences (et de montrer du doigt le coupable) sans se faire blacklister dans l’entreprise (et l’industrie en général).
Il faut arrêter de créer des atmosphères hostiles (aux femmes), que ce soit avec les soirées avec une majorité d’hommes (dont des personnes hiérarchiquement au dessus des employées féminines), ou par la présence d’alcool (en excès ou non) qui sert d’excuse pour les harceleurs et agresseurs.
Si ce sujet peut paraitre lointain pour beaucoup, il faut mettre en lumière que l’industrie du jeu vidéo en France est un « petit » cercle. Les personnes qui y travaillent ont souvent été employé dans plusieurs sociétés (il n’y a pas 20 studios de développement par département en France) et on garde contact avec tout le monde (que ce soit la presse, les blogs, les éditeurs, les studios,…). On ne se parle pas qu’à travers Twitter ou pendant une émission sur Twitch.
On a pu être témoin de beaucoup de réactions suite à ces témoignages, en majorité de soutien pour les victimes, mais aussi d’indignation face aux comportements des personnes incriminées. Il y a aussi dans quelques cas le syndrome Broadchurch: « je croyais le connaitre » (mais qui est plutôt « je fermais les yeux car cela ne me concernait pas »).
Ce mouvement qui touche l’industrie du jeu vidéo n’est que la partie visible d’un iceberg qui concerne toutes les industries. Comme pour beaucoup de sujets d’actualité (Black Lives Matter en est un), nous pouvons (et devons) faire parti de la solution pour que les choses changent. Que ce soit par notre comportement (sur Internet, les réseaux sociaux, au travail) en étant pro-actif et en remettant en question notre attitude au quotidien. Si un ami a un comportement toxique, c’est à nous de le lui dire, on ne peut pas fermer les yeux pour jouer la carte de l’étonnement quelques années plus tard.
Pour comprendre l’ampleur du problème (et suivre cette actualité), vous pouvez lire ce thread Twitter qui regroupe des témoignages du monde entier ainsi que l’article de Libération qui aborde en détail les accusations contre Ubisoft France.
Ce post n’a pas pour but d’être un dossier approfondi comme le sont les différents papiers qui ont été publié par la presse depuis le début du mouvement. Mais il est important de ne pas abandonner les victimes qui ont réussi à témoigner, en rappelant qu’un problème existe et qu’il doit être solutionné (par les entreprises et les managers, mais aussi les employés). Que nôtre rôle est de soutenir les victimes après cette épreuve, pas de remettre en question leur témoignage. Et que l’éducation et la sensibilisation est l’affaire de tous.