Test / The Last of Us: survivre malgré tout, même s’il faut mentir à ceux qu’on aime
Il y a encore 10 ans, on connaissait le studio Naughty Dog pour des jeux vidéo qui avaient bercé notre enfance (Crash Bandicoot, Jak and Daxter), voir notre adolescence (Uncharted). Des séries axées divertissement, même si la série Uncharted qui avait vu 3 opus sortir en 4 ans (2007, 2009, 2011) avait commencé à nous offrir autre chose que de l’action pure et dure.
Il s’en est passé des événements depuis la sortie pour la première fois sur PlayStation 3 de The Last of Us en 2013. J’avais découvert le jeu peu de temps avant sa sortie, en esquivant tous les spoilers possibles, et j’avais dévoré l’aventure en 2 jours tellement j’avais eu du mal à décrocher.
Avec la sortie de The Last of Us Part II, c’est une une bonne occasion de revivre l’expérience (avec la version Remastered sur PS4), pour se rafraîchir les idées et voir comment cette vision apocalyptique tient la route à notre époque.
Il y aura des spoilers dans ce « test ». Si vous n’avez pas joué au jeu alors que vous possédez une PS3 ou une PS4, vous avez sans doute raté l’un des meilleurs jeux de la console d’un point de vue narration.
L’univers
On débute l’histoire aux commandes de Sarah, la fille de Joel alors qu’une épidémie se propage en Amérique (et dans le reste du monde). Ce virus transforme les gens et ceux ci une fois infectés perdent toute humanité.
On peut les comparer à des zombies, qui n’ont pas besoin de se nourrir pour vivre (il semblerait). Ils sont par contre attirés par les humains (et les animaux) sains, et transmettent le virus en les mordant. Cette infection peut aussi être transmise dans les airs si l’on respire les spores d’un champignon (celui qui est à l’origine de l’épidémie).
L’idée de l’infection cérébrale n’est pas nouvelle, car il s’agit en fait d’une version « humaine » d’un fait réel. Le champignon Cordyceps existe, et il infecte les insectes (bon courage pour dormir à présent).
Si les scénarios catastrophes nous paraissaient farfelus à l’époque, la situation actuelle nous montre pourtant que tout peu arriver. La punition est par contre plus radicale dans les œuvres de fiction pour les personnes qui ne suivent pas les règles mises en place.
Si on respire des spores sans porter de masque ou qu’on se fait mordre la contamination est immédiate (et les symptômes font effet au bout de 2 jours). Il n’y a pas de possibilité de guérir de cette infection. 100% des participants à une Cordyceps party mourront.
Pour le COVID-19 c’est différent, car si le taux de mortalité n’est pas de 100%, les survivants auront des séquelles à vie (problème respiratoire, capacité physique diminuée, problèmes cardiovasculaires et neurologiques,…).
C’est assez drôle d’ailleurs, car quand on regarde un film ou qu’on joue à jeu, on se dit toujours de temps en temps des phrases du type: « Mais pourquoi est-ce qu’il fait ça, c’est évident qu’il va mourir ». Et pourtant, on remarque que l’actualité nous prouve qu’on fait exactement comme dans ces films. « Un couvre-feu ? C’est pour les autres. » « Porter un masque ? Je ne suis pas malade. »
La force de la narration de The Last of Us, c’est de nous mettre directement face aux conséquences de nos actions mais aussi de ce qu’il se passe autour de nous. Nous n’avons pas la possibilité d’agir sur tout ce qui nous entoure, on subit.
Quand on débute, après quelques secondes de jeu (assez pour savoir qui sont les personnages), Sarah, Joel et Tommy (le frère de Joel) prennent la voiture et essaient de fuir la ville. Ils se retrouvent face à un militaire alors qu’ils veulent échapper à des infectés. Celui ci ouvre le feu sur Joel et Sarah, sur ordre de son chef. Sarah meurt sur le coup, Joel est blessé alors Tommy arrive à abattre le soldat.
Une réaction qui parait peut être démesurée quand on joue au jeu en 2013. Elle l’est beaucoup moins quand on suit l’actualité avec le mouvement Black Lives Matter aux USA et la réaction extrêmement violente du gouvernement face aux manifestants (sans oublier une des raisons de ces manifestations, la violence policière quotidienne).
En à peine quelques secondes, on s’est attaché à Joel car on a vécu ce moment tragique avec lui, en étant impuissant face aux événements. On a créée un lien alors que le jeu n’a même pas commencé.
Le jeu
Ce n’est donc pas Sarah que l’on incarne mais Joel, 20 ans après cet événement qui a bouleversé l’humanité et plus particulièrement sa vie. La vie quotidienne est devenue une survie quotidienne dans des lieux entourés de barbelés, surveillés par l’armée pour protéger les civils des attaques d’infectés.
Un groupe de rebelles appelé les Lucioles nous confient Ellie, une fille de 14 ans, que nous devons escorter en dehors de la ville. Finalement c’est à travers une partie des USA que notre périple va se dérouler, dans une aventure découpée en 4 saisons. Ellie s’est faite mordre par un infecté dans sa jeunesse mais elle ne s’est pas transformée. Cette particularité laisse envisager la possibilité de mettre au point un vaccin, ce qui fait d’elle une personne à garder en vie coûte que coûte.
The Last of Us ne nous propose pas simplement un jeu d’action mais une aventure qui tourne autour de la relation entre Joel et Ellie. Si Joel a perdu sa famille et sa vie il y a 20 ans lors du début de l’infection, Ellie elle n’a connu qu’un monde dévasté, sans famille. Deux visions du même monde, où l’un souhaiterai arrêter de prendre des risques au quotidien (Joel a 50 ans), tandis que l’autre espère que toutes ses actions jusqu’à présent avaient une raison d’être (sauver l’humanité).
Joel et Ellie font plusieurs rencontres durant ce voyage, avec des personnages aux personnalités différentes mais avec un point commun qu’ils partagent avec nos deux protagonistes: tous veulent survivre. Et la survie nous transforme tous, c’est ce que nous montre The Last of Us.
Que ce soit Tess, l’amie de Joel, qui tue un homme après l’avoir tabassé au début du jeu car il lui avait volé des armes. Elle se fera mordre en protégeant Ellie, enlevant à Joel sa dernière raison de survivre. C’est ce qui le pousse à escorter Ellie.
Ou encore Sam et son frère Henry qui après nous avoir aidé dans la ville, abandonnent Joel et Ellie lorsqu’ils sont poursuivis par un véhicule militaire. Plutôt que de se confronter aux ennemis, ils préfèrent essayer de survivre de leur coté même si cela devait entraîner la mort de Joel. Finalement Sam se fait contaminer, Henry doit l’abattre et n’ayant plus la force de vivre, il se suicide à son tour.
Marlene, la tête pensante des Lucioles, qui après avoir protégé et surveillé Ellie toutes ces années accepte qu’elle se fasse opérer pour que l’on trouve un vaccin au virus. Une opération qui si elle a lieu entraînera la mort d’Ellie, car le virus se propagera dans son cerveau.
Il y a aussi les « méchants ». Souvent dans les jeux vidéo, on considère que l’on incarne « les gentils » et que l’on se bat contre « les méchants ». The Last of Us nous rappelle en plein milieu de la partie (en hiver), que la ligne que l’on a tracée entre le bien et le mal n’est présente que dans notre tête.
Les ennemis qui nous tendent des embuscades essaient eux aussi de survivre, de combattre les infectés et de trouver de la nourriture. En fait, on se rend compte au bout d’un moment que si l’on se place de l’autre côté de la ligne, Joel et Ellie sont une vraie menace pour les survivants. A eux deux, ils tuent plusieurs dizaines d’ennemis, de quoi inquiéter n’importe quel groupe réfugié dans une ville.
On croise aussi des comportements extrêmes. Si les premiers bandits tuent pour voler les biens de premières nécessités (nourriture, vêtements, médicaments), on évolue ensuite vers des groupes qui en sont arrivés à devenir cannibale.
On remarque d’ailleurs cette évolution si on observe le monde qui nous entoure et tous les documents que l’on peut trouver durant l’aventure. Après l’embuscade en été, on met la main sur une liste d’objets trouvés dont des paires de chaussures alors qu’en hiver, cette nouvelle liste correspond au poids des victimes tuées pour être mangées.
La survie ne change pas que les autres et Joel est le premier impacté. S’il se bat au début pour s’enfuir et riposter, il montre un autre visage pendant le passage de l’hiver. Il a faillit mourir, Ellie a disparu et il n’hésite pas à torturer les personnes qui l’ont attaqué pour apprendre où se trouve Ellie.
C’est cette évolution qui est au coeur du jeu. Si Joel accepte au début d’escorter Ellie pour le bien de tous (et la possibilité de trouver un vaccin pour l’humanité), l’aventure qui s’est déroulée durant presque un an et la relation qu’il construit avec Ellie le change complètement. Il n’hésitera pas à la fin à sauver Ellie, ce qui empêchera la possibilité de trouver un vaccin (en tout cas par ce biais).
Mais il va plus loin, car pour la sauver, il décime la majorité des soldats des Lucioles, tue le chirurgien responsable de l’opération ainsi que Marlene qui est à ce moment le leader des Lucioles.
The Last of Us nous montre aussi le visage que peut prendre l’espoir dans ce monde ravagé avec Tommy. Le frère de Joel qui ne fait pas parti de l’armée et qui a abandonné les Lucioles pour vivre avec une communauté qui essaie de reconstruire une espace de vie petit à petit. Pendant les quelques minutes que l’on passe avec lui, on se dit que tout n’est pas perdu. C’est d’ailleurs chez Tommy que Joel et Ellie se dirigent à la fin du jeu.
En plus de tout ça, on est témoin de la découverte du monde à travers les yeux d’Ellie. Elle qui n’a jamais vu le « monde d’avant » découvre et commente ces nouvelles expériences. Des animaux, des publicités ou un journal intime, sa vision naïve nous rappelle que nous mettons souvent l’essentiel de côté pour des raisons totalement superficielles.
Des choses que l’on peut d’ailleurs se permettre dans un monde où le chaos n’est pas notre quotidien.
L’exploration et les combats
En ce qui concerne le gameplay, The Last of Us n’est pas révolutionnaire (même à l’époque de sa sortie) mais il utilise des bases solides. On enchaîne les zones d’explorations et de combats. Dans les premières on doit trouver comment avancer parmi les ruines, avec des mécaniques de jeu répétitives (déplacer une échelle, faire flotter une palette de bois sur l’eau pour Ellie) mais dans des environnements riches en détails.
Pendant les zones de combats, c’est là aussi toujours la même chose. Les infectés nous courent dessus tandis que les humains sont plus « tactiques ». On peut utiliser différentes armes à feu (pistolet, fusil de chasse, fusil à pompe, arc et même lance-flammes) ou des armes de corps-à-corps que l’on peut améliorer.
Joel a la possibilité de confectionner des objets, que ce soit un kit de soin, un cocktail molotov ou un fumigène en ramassant des objets qu’il trouve parmi les zones abandonnées qu’il traverse. Il n’y a pas de points d’expérience, mais on peut ramasser des « pilules » pour améliorer les compétences de Joel.
L’idée générale est bonne, que ce soit pour confectionner des objets ou pour l’amélioration du personnage, mais il y a des petits problèmes de cohérence avec l’histoire. Il aura fallut attendre son aventure avec Ellie, 20 après le début de l’épidémie pour que Joel apprenne à faire un cocktail molotov par exemple.
Difficile de ne pas parler du jeu sans mentionner le travail artistique parfaitement réalisé. Que ce soit visuellement avec la richesse des décors (la ville, la campagne, les bâtiments,…) mais aussi la gestion des saisons et des effets visuels. Mais aussi l’ambiance sonore avec la musique composée par Gustavo Santaolalla qui est absolument parfaite.
Il ne faut pas grand chose pour faire un bon jeu: une histoire et une bande son qui va avec. Le reste c’est du bonus.
Les défauts
Plusieurs points m’avaient déçu dans The Last of Us à l’époque. Le premier c’est la partie « compagnon ». Si on le replace dans le contexte, Bioshock Infinite était sorti 3 mois plus tôt et on avait eu pour l’une des premières fois un compagnon à escorter (Elizabeth) qui nous aidait vraiment dans les phases de jeu.
Ici, malgré l’entrainement militaire d’Ellie, elle n’est pas très efficace (quand on ne l’incarne pas), et les ennemis ne la remarquent même pas quand elle se déplace devant eux. Ces détails cassent un peu l’ambiance réaliste des combats, pourtant bien pensés avec la gestion des armes et de la vie de nos héros.
La seconde, c’était à cause de la fin du jeu. On passe plus de quinze heures à s’attacher à Joel et Ellie, avec comme but initiale celui de sauver l’humanité pour qu’à la fin en 10 minutes chrono, on décime tout espoir de changer les choses (la fin des Lucioles et le mensonge de Joel par amour pour Ellie).
Il faut comprendre que la relation entre Joel et Ellie ne nous touche pas forcément autant que le sont les personnages. Si on essaie de s’identifier du mieux qu’on peut à Joel et Ellie, on ne peut pas complètement mettre de côté notre expérience personnelle (même au bout de 15 heures de jeu).
L’aventure nous permet de comprendre petit à petit ce qu’il se passe dans la tête de Joel et Ellie, mais on peut difficilement imaginer totalement le traumatisme qu’ils ont subis (avant le passage du jeu, et pendant le jeu).
D’ailleurs The Last of Us nous aide à mieux comprendre cette évolution grâce à sa gestion du temps. Contrairement aux autres jeux, on ne parle pas en jour, en mois ou en année mais en saison. Cette échelle de temps nous permet de facilement garder à l’esprit la durée des événements pour mieux comprendre les réactions de Joel et Ellie durant l’aventure.
C’est aussi parce que cette fin est à l’opposé de ce que l’on retrouve la plupart du temps dans les jeux vidéo. Souvent, le héros se sacrifie pour le bien du plus grand nombre. Par exemple Halo Reach avec le sacrifice de l’escouade pour sauver Cortana, la seule chance de peut être sauver l’humanité. Ou dans Bioshock, Mass Effect, Gears of War,…
Finalement, le seul point qui me dérange encore après toutes ces années, ce n’est pas tant sur mon expérience du jeu, mais sur celles de ceux qui l’ont commencé mais qui ne l’ont pas terminé. Pour comprendre Joel et être témoin de son évolution, il faut finir le jeu. Pour comprendre totalement la personnalité d’Ellie, il faut jouer au DLC Left Behind.
Je suis le premier (enfin, après Philip K. Dick sans doute, oui j’ai réussi à le placer dans ce texte) à dire que la fin d’une histoire ne doit pas effacer le reste de l’expérience car si l’on est déçu par la conclusion d’une oeuvre, il ne faut pas oublier le plaisir que l’on eu pendant le reste de l’aventure.
Pourtant, The Last of Us nous propose une fin qui impacte toute notre expérience, et je pense que les messages que propose le jeu n’ont pas été reçu par la majorité des joueurs, qui ont peut être arrêté de jouer après les premières heures de jeux (s’arrêtant sans doute vers le milieu, où l’on incarne Ellie).
En le finissant cette semaine, j’ai regardé les trophées pour voir combien de personnes avaient terminés le jeu sur PS3 ou sur PS4. Seuls 40% des joueurs sont arrivés à la fin (quelque soit le niveau de difficulté, PS3 et PS4).
L’oeuvre de Naughty Dog est pour moi plus qu’un jeu de divertissement, mais je pense que le jeu (et sses idées) a eu moins d’impact que les ventes peuvent le laisser penser. A l’image de Braid lors de sa sortie, où une partie des joueurs s’amusaient avec la possibilité de revenir en arrière en délaissant complètement l’histoire que voulait raconter Jonathan Blow.
Cela n’enlève rien au succès du jeu. Je suis par contre toujours déçu quand je vois le peu de joueurs qui terminent les jeux, surtout que l’histoire et la narration prédominent face aux autres aspects (on ne joue pas vraiment à The Last of Us pour ses phases de combat).
C’est sans aucun doute le jeu qui m’a le plus marqué ces dernières années. Il m’a fait pleurer au début, pendant les différentes rencontres et à la fin alors qu’il s’agissait de parfaits inconnus avant même que je démarre la partie.
La durée de vie
The Last of Us propose plusieurs niveaux de difficulté pour que chacun puisse arriver à bout de l’histoire. Il faudra compter plus d’une quinzaine d’heures pour explorer entièrement le jeu et profiter de la richesse du jeu.
Verdict
Les points positifs
- L'évolution des personnages
- Les rencontres avec des survivants
- Une ligne floue entre "le bien" et "le mal"
Les points négatifs
- Les phases de combat
- Le DLC est intéressant, mais l'action est mal dosée
En résumé
The Last of Us nous offre plus qu'un jeu d'action. C'est une rencontre qui va bouleverser la (sur)vie de Joel et Ellie, sans pour autant impacter le destin de l'humanité. Une oeuvre incontournable, avec des mécaniques de jeu assez classiques et des phases de combats répétitives. Cela ne diminue pas l'intérêt de l'aventure proposée par Naughty Dog.