Edito / Être contre les modes de difficulté dans les jeux vidéo est une position absurde
C’est un non-débat qui revient plusieurs fois par an et qui me tient à coeur, celui de l’accessibilité des jeux vidéo pour le plus grand nombre à travers la difficulté.
D’un côté les joueurs qui n’arrivent pas à avancer dans un jeu vidéo malgré de multiples tentatives (dans Demon’s Souls ou Returnal pour parler de jeux récents).
De l’autre les joueurs qui considèrent que la difficulté rencontrée est un composant essentiel au jeu et qu’il ne faut pas y toucher pour respecter la vision de l’équipe qui a développé le titre.
On va commencer par un point assez basique: il n’y a pas une seule façon de jouer aux jeux vidéo et heureusement.
On peut jouer pour se changer les idées après le travail, pour s’amuser avec des amis, pour relever des défis, pour collectionner des objets cachés dans des niveaux, pour débloquer des trophées, pour rencontrer des joueurs qui partagent la même passion que nous.
Ce qui est beau avec un jeu vidéo, c’est qu’il n’est pas enfermé dans une seule case.
Et ce qui est encore plus fort, c’est que l’équipe qui développe un jeu n’a pas forcément idée de tous les joueurs que ce jeu va toucher (les speedruns dans Zelda, les photos dans Sea of Thieves, les mini-séries vidéos dans Halo,…).
A l’image d’un Sackboy, jeu qu’on placera par défaut comme un divertissement à faire seul ou à plusieurs et qui récemment met en avant son coté speedrun. Deux univers pour deux expériences de jeu complètement différentes se côtoient sans problème.
Spider-Man: un bon exemple
Prenons Spider-Man: Miles Morales. On peut y jouer parce qu’on adore Spider-Man et que l’histoire est vraiment cool. On peut y jouer parce qu’on aime les jeux d’aventure ou qu’on veut vivre une expérience sympa avec des graphismes vraiment bien foutus.
On peut aimer le challenge aussi, avec les défis chronométrés, ou encore augmenter la difficulté du jeu soi même pour que les ennemis soient plus résistants. On peut aussi adorer se balader dans la ville et chercher les objets.
On est d’accord pour dire que pour Spider-Man: Miles Morales, il y a plein de raisons différentes de vouloir y jouer.
Ce qui est bien, c’est que la raison pour laquelle je joue à Spider-Man, elle ne vous regarde pas. Et d’ailleurs, je pense que vous vous en foutez. Si j’y joue parce que j’aime bien New York et que vous voulez y jouer parce que vous aimez Spider-Man, on se retrouve sur une chose: on veut tout les deux avoir la possibilité d’y jouer.
Et si Spider-Man: Miles Morales est votre premier jeu vidéo, vous allez bien galérer avec la manette contrairement à moi car j’ai déjà pas mal d’expérience dans ce domaine.
Quand vous allez lancer le jeu pour la première fois, vous allez découvrir comment fonctionne la DualSense, les principes de base du jeu (les missions, les appels, les déplacements), le fonctionnement des combats… Alors que moi, je connais déjà tout ça.
Et oui, on est pas tous égaux quand on lance un jeu vidéo. Notre expérience face aux jeux vidéo ou encore nos capacités physiques (par rapport à la manette, mais aussi par rapport au son ou à la vidéo) font qu’un jeu sera plus facile pour moi que pour vous, ou inversement.
La difficulté ressentie ne sera jamais la même.
Bonne nouvelle pour vous, vous pouvez choisir le mode de difficulté au lancement du jeu pour optimiser votre expérience.
Bonne nouvelle pour moi, vous pouvez jouer en facile ou en difficile, ça ne change pas la difficulté dans ma partie.
Vous avez compris le principe de base ? On enchaîne.
Returnal: des pas en avant, mais pas plus
Laissons Miles Morales tranquille et tournons nous vers Returnal (c’est le jeu qui relance le débat ce mois ci).
Returnal est censé être un roguelite. Un jeu d’action à la 3ème personne où la mort est permanente. Les objets trouvés pendant la partie disparaissent à notre mort. Le but d’un rogue est de terminer l’aventure sans mourir, en ramassant des armes et en améliorant notre personnage.
On meurt beaucoup, on apprend les déplacements des ennemis, le fonctionnement des armes, on s’améliore et on avance petit à petit.
Sauf que Returnal ne respecte pas les règles du rogue sur plusieurs points.
Quand on avance dans le jeu, on débloque plusieurs équipements que l’on garde même si on meurt, et ces équipements changent le gameplay dès les premiers niveaux (un grappin, une épée, deux paires de bottes, j’ai l’impression de parler d’un nouveau Zelda). Des salles sont donc inaccessibles pour les premières parties tant qu’on a pas débloqué ces objets.
Ensuite, une fois les boss battus et les niveaux débloqués, on peut prendre des « raccourcis » si on meurt pour revenir plus vite là où on était. On nous facilite notre partie en quelque sorte. Vous avez le choix pendant votre exploration de prendre ou non ces raccourcis. Vous pouvez très bien combattre à nouveau les boss et récupérer à nouveau les clefs nécessaires pour les rencontrer si vous le voulez, mais ce n’est pas obligatoire.
C’est cette option qui pousse Returnal un peu plus dans le genre du jeu d’action classique que dans le monde du rogue conventionnel. C’est un premier pas pour rendre le jeu plus accessible à tous.
Autre écart : la carte. Celle ci nous indique le chemin principal et les pièces facultatives. Parfait pour nous faire gagner du temps si l’on souhaite aller directement vers le boss final, ou génial si on veut être sur d’explorer toutes les pièces optionnelles.
On nous facilite notre partie, en nous laissant le choix de jouer à notre façon.
Car un des défauts de Returnal, c’est d’offrir un jeu sur console où l’on ne peut pas suspendre la partie pour la reprendre demain. Il n’y a pas de sauvegarde « en cours » de partie. On peut mettre en pause et « mettre la PS5 en mode repos » mais cela veut dire que vous ne pouvez pas jouer à un autre jeu entre temps (ce qu’on pourrait faire avec un Quick Resume).
Parce que soyons honnête, un rogue ne dure pas 8 heures normalement. Un run dans Hades, c’est 1h, depuis le début du jeu jusqu’au boss final. Là en 1h, tu fais un niveau sur les 6 que comporte Returnal.
Du coup, à moins que vous ayez la nuit devant vous, il est quasiment impossible de finir le jeu en une seule partie: c’est trop long ! La solution pour Returnal, c’est d’avoir découpé le jeu en 2 chapitres, en plus des raccourcis.
Et vous savez quoi, ce découpage, comme les raccourcis, il n’est pas obligatoire, il vous facilite le jeu si vous le voulez.
La preuve, je suis assez bête pour avoir terminé Returnal en un run complet de 8h, sans utiliser les raccourcis et en enchainant les deux chapitres.
Mais ce qui est bien avec les jeux vidéo, c’est que si vous utilisez des raccourcis dans Returnal, ça ne va pas changer mon expérience de jeu (la mienne à moi).
Il y a un autre point intéressant à propos de Returnal, c’est qu’il utilise les gâchettes adaptatives de la manette pour gérer le basculement entre le tir principal et le tir secondaire sur votre arme.
Idée innovante et franchement bien foutue, elle n’est malheureusement pas pratique pour tout le monde. Conscient de cet obstacle pour certains joueurs, Housemarque a eu la bonne idée de permettre à chacun de configurer les touches de la manette selon nos désirs.
Le jeu sans cette fonctionnalité devient alors plus facile. C’est comme désactiver les vibrations.
Je vous laisse reprendre votre souffle 2 minutes, je sais que c’est une révélation qui peut être difficile à encaisser.
On pourrait avoir d’autres idées pour faciliter l’expérience des joueurs qui le souhaitent (pas la mienne, pas la votre non plus, mais celle d’autres joueurs). On pourrait par exemple permettre aux joueurs d’avoir la possibilité de paramétrer des données comme leur arme préférée pour être sûr de la rencontrer au moins une fois dans le niveau.
Pourquoi pas aussi avoir la possibilité d’avoir une jauge de vie plus importante de 10%, 20%, 50% de celle de base. Ou bien une option pour débuter les boss avec l’intégralité de sa vie ? Ou permettre aux joueurs de traverser les attaques ennemis en se propulsant en avant pendant un bref moment ?
Un peu cheaté la dernière proposition non ? Attendez on me dit dans mon oreillette que c’est un pouvoir disponible dès le début du jeu, au temps pour moi. Du coup ça n’entre pas dans le débat parce que ça respecte la vision de l’équipe de développement.
Pourtant ce dash pourrait simplement nous permettre de nous déplacer rapidement sans nous rendre invincible. Le jeu deviendrait trop dur pour vous ? Peut être pas pour tout le monde.
Pourquoi ces idées ? Parce que certaines personnes vont jouer 1h le soir pour se détendre, découvrir l’histoire (oui, l’histoire de Returnal est un pilier principal du jeu étant donné que son coté action l’emporte sur son coté rogue) et surtout parce que nous ne débutons pas tous l’aventure avec la même expérience de jeu.
Et malgré les nombreuses heures de jeu, il est fort probable que certains joueurs n’atteindront jamais le niveau requis pour passer outre la difficulté paramétré sur un boss, ou un passage difficile quelconque.
Il y a de fortes chances que le boss de l’image ci-dessous soit le seul que beaucoup de joueurs vont rencontrer dans Returnal.
Hadès: le jeu qui a tout compris
Et c’est dans les deux sens ! Pourquoi pas des paramètres pour rendre le jeu plus difficile ?
Pouvoir enlever les codes couleurs sur les attaques ennemis. Des orbes bleues ? Ca va tout droit. Des boules fines jaunes/rouges ? Attaques avec des têtes chercheuses… C’est un peu téléphoné une fois qu’on a compris.
Pourquoi ne pas pouvoir limiter les types d’armes et les reliques qu’on croise ? Ou pouvoir vraiment recommencer à zéro chaque partie (sans équipement, sans éther) ?
Parce qu’un rogue, une fois qu’on l’a fini et qu’on ne débloque pas des combats plus durs, on fait quoi ? On peut augmenter la difficulté dans Hades, ajouter des challenges. Dans Returnal, une fois que tu as terminé l’histoire et que tu as compris le pattern des 6 boss, il te reste un défi quotidien…
Returnal, certains ne le finiront jamais car il n’est pas assez accessible pour eux. Les autres le finiront et pourront le ranger sur leur étagère parce qu’une fois qu’on a terminé ce fameux challenge, il n’y a pas grand intérêt à y rejouer.
Ces paramètres d’accessibilité, ils sont différents pour chaque joueur. On ne peut pas définir un niveau universel qui correspondra à toutes les attentes. C’est pour cette raison qu’on a besoin de modes de difficulté prédéfinis (pour simplifier le jeu de la plupart des joueurs ou pour au contraire augmenter le challenge, comme dans un The Last of Us).
Sinon, on peut ouvrir le réglage de ces paramètres pour que les joueurs s’amusent comme ils le souhaitent (Hades, Among Us).
C’est assez simple de faire la parallèle avec Hadès car c’est un roguelike qui a été acclamé par la presse et par les joueurs en 2020.
On pourrait se dire qu’un roguelike qui a du succès à ce point respecte les codes du genre. Si vous n’avez pas joué à Hadès, voici quelques points intéressants.
On a le choix de notre arme avant de débuter la partie.
On peut d’ailleurs améliorer son arme une fois qu’on est mort. On optimise son personnage en utilisant une monnaie particulière, que l’on ne perd pas quand on meurt. On débloque des anneaux que l’on garde en permanence dans notre inventaire, et on peut améliorer cet équipement.
Une partie dure maximum 1 heure, et on peut ensuite recommencer à volonté en augmentant la difficulté du jeu grâce à des paramètres précis. Le jeu devient de plus en plus « simple » au fur et à mesure de nos morts car notre personnage monte en compétence. Cela n’enlève en rien le plaisir que l’on a quand on bat les boss, ni le divertissement que nous procure les runs.
Les « Souls »: l’élite des joueurs
La seule différence, c’est que quasiment tous les joueurs qui ont passé une dizaine d’heures sur Hades vous diront qu’ils l’ont terminé au moins une fois.
Ce qui n’est pas le cas pour un Demon’s Souls (ou un Returnal).
Et au final, on a plus l’impression d’avoir un débat entre des gens qui veulent jouer à un jeu (et qui persévèrent malgré la difficulté parfois infranchissable pour certains), et des gens qui laissent sous entendre que tous les jeux ne sont pas fait pour tout le monde, créant alors une certaine « élite » des joueurs.
Si vous cherchez à faire parti de l’élite des joueurs de jeux vidéo, il faut vous tourner vers l’esport. Si elle doit exister, c’est bien là.
Si vous avez envie de jouer à un jeu avec un oeil fermé, sans utiliser de fiole de vie, sans sauter ou seulement avec une épée, c’est votre choix, et vous vous pouvez très bien le faire.
Mais ne dictez pas la façon dont les autres doivent jouer à un jeu vidéo, d’autant plus si leur expérience de jeu ne change pas la votre.
Et arrêtons de répéter que c’est « la vision artistique » de l’équipe qui a développé le jeu. Les jeux vidéo AAA sont développés par des équipes composées de beaucoup de gens, les jeux sont testés, les modes de difficulté sont modifiés pendant les phases de développement (et même après la sortie du jeu avec les patchs).
Laissez les gens jouer aux jeux vidéo comme ils le souhaitent, que ce soit pour se divertir, pour rencontrer des gens ou encore pour relever des défis plus ou moins difficiles.
Continuons de faire des jeux vidéo un endroit de rencontre pour tous. Ne militez pas pour en faire un espace fermé où il y aurait une bonne et une mauvaise façon de jouer aux jeux vidéo. Où il y aurait une élite de joueurs.
Cette vision du jeu vidéo est tellement triste.